Le canal Rideau, souffle vital d’Ottawa

Sous les grandes tentes protectrices du Lac Dow, les amateurs de sports d’hiver enfilent vigoureusement leurs patins. Malgré le matin glacial (il fait -23 degrés Celsius plus facteur vent), quelques braves viennent écorcher la surface de la plus grande patinoire naturelle au monde.

En sortant de la tente, le paysage qui nous attend est resplendissant. Le soleil lumineux embrasse la surface miroitante de ce joyau de la capitale nationale. L’être humain paraît bien fragile sur ce canal givré en proie à la voracité du vent nordique.

Le colonel John By, en s’installant dans la région, n’aurait jamais pensé que son ouvrage servirait aux loisirs d’une ville entière et de nombreux voyageurs. Le souffle de vie qui a suivi la construction du canal Rideau aura duré pendant plus d’un siècle. Il célèbre cette année son 175e anniversaire.

Avant sa construction, les biens et passagers circulaient le long du fleuve Saint-Laurent. Mais cette route maritime, qui sépare les États-Unis et le Canada, inquiétait les Canadiens pendant la guerre de Sécession.

Les autorités britanniques, influencées par le Duc de Wellington, ont demandé la construction d’un canal reliant les Grands Lacs au Saint-Laurent. Le colonel John By a été nommé comme ingénieur responsable de la construction de la voie de remplacement.

By s’est installé à la bouche de la rivière Rideau en 1826. Elle se jette dans la rivière des Outaouais et mène au fleuve. Alors inhabitée, la région n’abritait que la forêt et des marécages.

L’arrivée du colonel By et de ses travailleurs a amorcé le peuplement. La ville bourgeonnante a été connue pendant plusieurs années sous le nom de Bytown. Ville qui deviendra la capitale du Canada, Ottawa doit sa naissance à la création du canal Rideau.

D’abord une route militaire, son usage a rapidement changé pour s’axer sur le transport de ressources commerciales. Le canal devait relier Montréal, le centre économique international canadien à Kingston, aux abords du lac Ontario, lieu de transit pour les marchés américains. Cette voie a également eu le rôle « d’autoroute » pour les premiers regroupements de citoyens.

Les travaux d’aménagement ont été longs et difficiles, s’étendant sur cinq ans de 1827 à 1832. La main-d’œuvre, principalement d’origine irlandaise ou canadienne-française, était payée entre dix cents et un dollar par jour. Elle s’appliquait quotidiennement à creuser les fosses pour les écluses, à transporter les pierres pour la structure et à fabriquer des barrages.

De nombreux travailleurs sont morts au cours de la construction, victimes d’accidents liés aux explosions. D’autres ont succombé à une épidémie de choléra ayant fortement frappé la région du Québec. Puis « entre 500 et 600 travailleurs ont été frappés par la malaria attrapée dans les zones humides de la région », explique Juan Sanchez, historien du canal Rideau de Parcs Canada.

« Il y avait beaucoup de construction dans la nature, dans des endroits restreints et la propagation des maladies était alors facile. De plus, l’absence de remède n’aidait pas cette cause », précise M. Sanchez.

Selon le spécialiste, parmi les 2500 personnes ayant œuvré à la fabrication du canal près de 1000 sont morts, soit 40% de la main-d’œuvre.

Les nombreux immigrants irlandais qui œuvraient au canal étaient déjà pauvres et faiblement rémunérés. Ils n’avaient ni les moyens de se nourrir ni de se soigner adéquatement, en plus de ne pas être habitués aux durs hivers canadiens. Aujourd’hui, plusieurs monuments s’élèvent le long du canal à la mémoire de ces travailleurs irlandais morts à la tâche.

Depuis ce temps, les choses ont changé. Le canal Rideau est maintenant symbole de plaisir et bonheur pour des centaines de milliers de personnes. Les foules profitent des plaisirs d’hiver comme le patinage et la dégustation de queues de castor ou des activités estivales comme la rame, la pêche et la navigation de plaisance

Les divertissements culturels du canal sont nombreux. Par exemple, le Musée du canal Rideau et la Table ronde sur la rivière Rideau lançaient en juillet dernier, une série d’activités intitulées « The Treasures of the Rideau ». Accompagnés par un groupe d’experts, les participants se promènent à la rame en canoë voyageur.

De plus, les nombreux musées installés le long du canal offrent aux visiteurs une dose d’histoire. Les amateurs de promenade profitent aussi des parcs et aires de conservations où la faune et la flore embellissent les randonnées pédestres.

Les adeptes de plongée sous-marine en apprendront sur le canal, d’un point de vue caché. Sous la surface de l’eau se dissimulent des trésors anciens.

« Il y a beaucoup d’histoire qui se cache sous l’eau du canal. Cet immense système conçu de barrages a inondé plusieurs sections du territoire. Celles-ci sont couvertes d’entre 2 à 30 pieds d’eau », explique Willis Stevens, du service d’archéologie sous-marine de Parcs Canada.

L’organisation recense tous les secrets cachés du canal. Elle gère ces ressources qui pourraient être menacées par l’édification de marinas ou d’autres constructions sur les berges.

Ses trésors se cachent dans pas moins de 150 sites archéologiques confirmés. Il y a tout autant de sites potentiels qui n’ont pas encore été examinés. « On y retrouve des bateaux naufragés de la période commerciale, ou de larges bateaux à vapeur. On y voit aussi des petites barques et des bateaux à voiles ayant un jour sombré », dit M. Stevens.

Quelques bateaux naufragés sont en meilleur état que d’autres. S’y cachent les secrets du canal, des artefacts. Des assiettes en céramique, des poulies autrefois utilisées pour soulever les cargaisons, des moteurs à vapeur. De quoi exciter n’importe quel archéologue amateur ! En effet, ces objets demeurent sous l’eau pour le plaisir de visiteurs. Mais aussi parce que leur restauration et de leur conservation dans un musée est trop dispendieuse.

Certaines structures, d’anciens quais et ponts désuets ayant servi à la construction du canal se retrouvent aussi au fond de l’eau. « Ces artefacts structurels obtiennent le statut de sites historiques puisqu’ils sont liés à la construction du canal », souligne Willis Stevens.

Ces traces des travaux du colonel By rappellent les efforts consacrés à la construction.

By avait demandé que les écluses du canal soient très grandes. Selon lui, elles devaient pouvoir accommoder les larges bateaux à vapeur qui voguaient déjà sur les eaux des Grands Lacs. Pourtant, au déplaisir des autorités britanniques, cet aménagement était plus dispendieux. Le canal a donc coûté 822 000 £, ce qui était à l’époque une somme faramineuse.

Le prix aurait pu menacer le projet. Mais la nécessité du canal Rideau l’a remporté. D’une importance militaire stratégique, puis essentiel à l’économie locale, le canal est maintenant un atout touristique. Et la taille du canal, défendue par By, contribue maintenant à son prestige.

Chaque année, le Bal de Neige de la Commission de la capitale nationale (CCN) centre son festival sur les 7,8 kilomètres et plus de 165 000 mètres carrés de glace, servant de patinoire. Le festival hivernal souligne son 29e anniversaire cette année. Les visiteurs viennent en nombre : près de 850 000 à venir fouler la patinoire du canal Rideau et à venir voir les sculptures de glace et les spectacles.

L’entretien de la patinoire pour le festival coûte près de 1,2 million $. La CCN débourse 600 000 $ pour l’installation de l’électricité et de la plomberie, le déneigement de la glace et la mise en place des services. La différence est payée par les nombreux commanditaires et partenaires du festival.

La programmation musicale et les fameuses sculptures de glace reçoivent un budget de 1,6 million $. Encore une fois, cette somme est partagée entre la CCN et ses commanditaires.

Un événement d’une telle envergure ne peut qu’être bénéfique pour la capitale nationale. Les retombées économiques de Bal de Neige sont considérables.

« Pour les provinces de l’Ontario et du Québec [les retombées] sont de 151,7 millions $, et de 82,5 millions $ pour la région de la capitale », indique Marie-Ève Létourneau, relationniste pour la CCN.

« Le canal est un excellent atout pour la Ville », estime Mark, gestionnaire de l’entretien de la marina du Lac Dow, un des points d’attraction du canal. « Cela crée beaucoup d’emplois et attire énormément de visiteurs de partout sur la planète, que ce soit pour patiner, voir les belles embarcations ou pour participer au Festival des tulipes. »

Les emplois créés sont autant liés au tourisme qu’à l’entretien de cet immense réseau. Parcs Canada, à qui le ministère des Transports a légué le canal en 1972, assure maintenant l’entretien de ce site patrimonial national. Selon Juan Sanchez, de Parcs Canada, les dépenses en réparations dépassent 3 millions $ par année.

Depuis quelques années maintenant, le canal Rideau reçoit une attention accrue. En août 2000, le ministère du Patrimoine canadien et le ministère ontarien des Ressources naturelles ont officiellement consacré le canal Rideau comme rivière du patrimoine canadien.

Le canal a également été recommandé comme site du patrimoine mondial de l’UNESCO, organisme de promotion culturelle des Nations Unies, par le gouvernement canadien en octobre 2004.

En août 2005, la société Guinness World Record de Londres a reconnu la patinoire du canal Rideau comme la plus grande patinoire naturelle au monde. Depuis, les 165 621 mètres carrés de patinoire du canal sont encore plus courus par les visiteurs internationaux. Ils sont nombreux à venir profiter de l’irremplaçable gemme d’Ottawa.

« Une des raisons pour lesquelles le canal est devenu un site patrimonial d’une importance nationale est l’histoire qui s’y cache », souligne Willis Stevens.

-Nathalie Caron

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